Les codes du monde du travail sont en pleine mutation. Une brève parue dans Les Echos du 25 juin 2025 le souligne : « Les jeunes générations veulent des coachs qui les guident et qui les motivent, pas des managers qui les supervisent au quotidien ». Cette attente, prônant l’autonomie et le sens, révèle le besoin de créer un nouveau paradigme managérial et de développer une compétence humaine fondamentale : l’agentivité.
Pour naviguer dans un environnement professionnel en pleine mutation, de plus en plus complexe et incertain, Jérémy Lamri, cofondateur du Lab RH, érige l’agentivité comme « la compétence reine » d’ici 2040.
Pourquoi est-elle si cruciale aujourd’hui pour catalyser le progrès et la performance en entreprise ? Cet article propose un décryptage complet asserti de la vision scientifique d’Hélène Sauzéon – Professeur de psychologie à l’université de Bordeaux, détachée à l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique) – et de la vision en développement professionnel d’Olga Pakhomova – coach professionnelle certifiée.
L’agentivité est un néologisme issu de l’anglais « agency ». Elle désigne la capacité des individus à être maîtres (agents) de leur existence dans des contextes variés comme les apprentissages, la réussite professionnelle, etc.
Plus précisément, Olga Pakhomova met l’accent sur l’autonomie qui y est liée :
« C’est la capacité de prendre les choses en main, d’être acteur de son propre changement, d’agir sans attendre d’être dirigé ou contrôlé. Par exemple, un collaborateur qui, prenant conscience que ses présentations manquent de dynamisme, décide de lui-même de travailler sa posture pour gagner en impact. »
Serions-nous tous prédisposés à l’agentivité depuis notre naissance ? Est-il possible de développer cette compétence si tel est le cas ?
L’agentivité est au cœur des recherches du Professeur Hélène Sauzéon. Ces dernières portent sur le développement cognitif et psychologique et l’impact sur le développement des compétences.
« L’agentivité en psychologie du développement est bien définie dans la théorie de l’auto-détermination : il s’agirait d’une pulsion ou une énergie innée appelée motivation intrinsèque qu’ont tous les individus à tous les âges pour se réaliser. Ce besoin à s’autoréaliser, ou à se réaliser par et pour soi-même, découle de besoins innés et essentiels communs à tous les individus et qui les animent, donnent du sens à ce qu’ils font et donc les motivent ».
Trois besoins fondamentaux sont déterminants dans la construction de l’individu pour se réaliser :
Le professeur Hélène Sauzéon parle de cercle vertueux de l’agentivité :
« La satisfaction des trois besoins essentiels permet à l’individu d’accéder à la prise de décision, un élément clé de l’agentivité. Plus un individu est autonome, plus il acquiert des compétences et plus il développe son agentivité.»
L’agentivité se développe et se cultive, à condition de pouvoir assouvir les trois besoins fondamentaux. En psychologie, on parle de zone proximale de développement (en référence aux travaux de Liev Vygotski) c’est-à-dire les endroits ou activités où on va être en mesure de faire des progrès, c’est-à-dire des tâches ni trop faciles (car ennuyantes), ni trop difficiles car inatteignables (et donc décourageantes).
Le contexte étant déterminant, quels mécanismes psychologiques sont bénéfiques pour accroitre cette compétence d’avenir ?
Se sentir compétent, se voir progresser dans une tâche qui nous tient à cœur est un moteur qui stimule la motivation à poursuivre ses efforts, qui renforce la confiance en soi et l’implication dans les tâches confiées. Comme le souligne Hélène Sauzéon « Observer ses progrès flatte son sentiment de compétence et rend plus performant tel un cercle vertueux ».
Cette « flatterie interne» active la capacité d’auto-détermination et donc enclenche les mécanismes de l’agentivité et de la performance. C’est auprès des enfants ou des personnes âgées que ce phénomène psychologique est appliqué lors des recherches à l’Université de Bordeaux.
« Par exemple, lors de nos travaux auprès des enfants sur l’acquisition de compétences et l’autodétermination, nous mettons en œuvre un système de récompenses lié à la réalisation d’une tâche. Celui-ci n’est pas un support physique de récompense extérieure de type bonbons, mais un feedback montrant à l’enfant la manière dont il est devenu autonome et compétent. Cette satisfaction immédiate joue le rôle de récompense interne qui le motive à bon escient pour ses apprentissages, au lieu de l’en détourner en voulant juste plus de bonbons. »
C’est donc dans un contexte de feedback positif valorisant qu’un individu puise sa motivation intrinsèque pour progresser et monter en compétence.
Comme l’explique Hélène Sauzéon « plus nous sommes compétents, plus on devient expert de sa propre compétence, et plus nous développons notre autonomie et notre agentivité à le devenir encore plus, car on sait quelles incertitudes ou quelle terra incognita sont supportables, résolvables et vincibles.«
En devenant plus autonome, l’individu est plus enclin à prendre des initiatives, à proposer des solutions et donc, à être un acteur engagé de sa propre trajectoire professionnelle.
Développer l’agentivité est aussi une démarche personnelle qui demande une capacité d’introspection et le développement de compétences comportementales clés.
L’agentivité commence par la conscience de soi. Hélène Sauzéon insiste sur l’importance de s’autoévaluer face à une tâche en préambule à toute dynamique d’agentivité.
« Se poser les bonnes questions est fondamental : cette tâche est-elle facile ou difficile pour moi ? Mes compétences actuelles sont-elles suffisantes ? De quoi ai-je besoin pour réussir ? Cette capacité d’auto-jugement permet de reconnaître ses forces et ses faiblesses. Dans cette étape, il est essentiel de se poser la question : est-ce que je me sous-évalue ou surévalue ? ».
Olga Pakhomova, souligne, pour sa part, la place des émotions dans ce processus.
« L’une des étapes consiste à analyser ses émotions et à observer les actions inconscientes qu’elles déclenchent. Comprendre le rôle des émotions – souvent sous-estimé – permet de faire des choix conscients et de remplacer une action destructrice ou incohérente par une autre, bénéfique ou neutre. »
L’autoévaluation est donc une forme de pensée critique. Elle permet de faire des choix plus conscients et constructifs. C’est une soft skill connue sous le nom de « Conscience de soi » et de plus en plus prisée dans le monde professionnel.
Pour enclencher cette démarche, plusieurs soft skills sont de véritables alliées.
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L’agentivité individuelle ne peut s’épanouir dans un système managérial vertical trop autoritaire. Les managers ont un rôle décisif à jouer pour créer un environnement propice et fertiliseur de l’agentivité.
Manager d’une équipe de jeunes doctorants préparant leur thèse, Hélène Sauzéon prône un management fondé sur la bienveillance et la co-construction. Concrètement, cela se traduit par des pratiques simples :
« Je mets en place un cadre simple. J’invite à une réunion hebdomadaire pour faire le suivi et l’expression des attendus ou livrables de manière très explicite. Et, dans ce cadre, les collaborateurs gèrent en toute liberté leurs modalités de travail : horaires, télétravail, organisation des tâches, mise en action. Et, au besoin, je conseille, suggère mais c’est à eux, au final, que reviennent les décisions car il est primordial qu’ils se sentent aux commandes et que leur travail soit leur propriété. »
Pour favoriser ce leadership, trois piliers sont fondamentaux :
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Si l’agentivité est une compétence individuelle, son impact est profondément collectif. Une organisation composée d’individus autonomes, créatifs et capables de détecter les menaces comme les opportunités, est une organisation agile et résiliente.
Cependant, Hélène Sauzéon met en garde contre un risque :
« L’agentivité est une compétence individuelle. Développée chez chacun des collaborateurs, elle peut conduire à des situations figées où chacun arrive avec ses attentes fortes et très individuelles. »
Il convient donc de valoriser le collectif notamment à travers le besoin d’appartenance sociale, afin que l’agentivité profite au groupe et renforce la performance globale.
Hélène Sauzéon suggère des stratégies de team building qu’elle qualifie d’indispensables.
« C’est très important d’avoir de nombreuses activités « sociales » dans l’équipe soit pour des moments de partage soit pour des activités professionnelles à plusieurs. L’idée est de mettre l’individualité sur le podium tout en partageant avec l’autre et en renforçant la cohésion. Il faut « sociabiliser l’agentivité » sinon cela peut devenir compliqué si personne ne perçoit que l’autre est un ingrédient de sa propre agentivité. C’est d’autant plus vrai dans mon domaine métier où notre travail est nécessairement collectif. La notion de groupe y est extrêmement importante. On ne fait pas grand-chose seul, tout est fait en équipe. »
L’arrivée de l’IA a rebattu les cartes et rendu le monde professionnel incertain. Selon nos experts interrogés, l’agentivité peut être une force qui permet de garder un cap optimiste doté de sens.
« Ce que l’IA délivre, dépend en grande partie de la personne qui formule la demande, qui évalue la qualité des réponses obtenues, qui décide de la suite à donner. L’IA n’est qu’un outil, et c’est le sens critique, la créativité, l’autonomie de l’individu qui détermine le résultat final. » -Olga Pakhomova – coach professionnelle
« Faire preuve d’agentivité, c’est connaître ses forces et ses faiblesses. Cette disposition permet d’être moins ébranlé par les aléas technologiques. L’acquisition de compétences à utiliser à bon escient les IAs ouvre les portes de l’adaptabilité et de l’autonomie à acquérir de nouvelles compétences. Si on est bien préparé à les utiliser, elles peuvent être une formidable source de flexibilité pour évoluer, trouver sa zone proximale de compétences, et s’adapter plus sereinement aux environnements incertains. » – Hélène Sauzéon – Professeur de psychologie.
Pour conclure, Jérémy Lamry cite dans un article publié sur medium :
« Alors que l’agentivité de l’IA est en passe de devenir supérieure à celle de l’humain, il devient fondamental d’accélérer les politiques de développement des soft skills, qui sont les briques essentielles pour garantir une agentivité humaine à la hauteur de nos attentes. »
L’agentivité est une compétence cruciale pour la motivation individuelle et la performance collective, ancrée dans des besoins psychologiques fondamentaux et développable par des pratiques managériales et RH ciblées.
Quel modèle managérial peut inspirer de nouvelles pratiques où l’agentivité est au cœur des préoccupations ? Nous nous sommes demandé si le management sportif pouvait être une piste à explorer.
A la question « pensez-vous que l’agentivité est une compétence développée par les sportifs de haut niveau ? », Hélène Sauzéon rappelle que « toute autodétermination bien développée implique des performances plus grandes dans les domaines souhaités et donc aussi une meilleure qualité de vie ».
Il semblerait que la réponse soit en faveur d’un modèle inspiré par le sport.
Dans un monde professionnel changeant, où les générations se côtoient en bousculant les repères managériaux, et où la transformation digitale renforcent l’incertitude, l’agentivité n’est plus une option mais la clé d’une performance humaine et durable.
Nos remerciements à Hélène Sauzéon – Professeur en psychologie à l’Université de Bordeaux – et à Olga Pakhomova – coach professionnelle certifiée – pour leur participation à la rédaction de cet article.
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